•     L'origine de ces sirènes était mystérieuse. Un savant érudit lillois, le chanoine Détrez, l'a mise en lumière. Selon lui, ces sirènes représenteraient la fée Mélusine dont la légende était très répandue au Moyen Age (1). Elle avait épousé un Lusignan (d'où son vieux nom de Mélusine, mère de Lusignan). En 1387, le poète Jean d'Arras écrivit son histoire pour le duc Jean de Berry, et grâce aux ménestrels, la légende se répandit rapidement dans le Nord, les Lusignan étant alliés aux ducs de Bourgogne, souverains des Pays-Bas à partir de 1384. La femme-poisson fut en honneur dans toutes les fêtes publiques. Aussi est-il vraisemblable qu'elle fut choisie comme mascotte par les échevins de Bailleul et d'Armentières. Comme elle était l'inspiratrice des constructeurs de châteaux et de tours, elle devint la patronne des guetteurs des beffrois (2).

       (1) Détrez, Les sirènes et les beffrois de Flandre, Bulletin de la Commission historique du Département du Nord, 1933 : Un seigneur Rémondin de Poitiers (ancêtre des Lusignan) épousa une femme nommée Mélusine. Il so'bligea à ne pas la voir le samedi, mais emporté par sa curiosité, il regarda par le trou de la serrure ; il la vit dans son bain, se peignant les cheveux, un miroir à la main et le corps terminé par une queue de poisson. Le cri qu'il poussa la fit disparaître, mais chaque fois qu'un Lusignan se trouve en danger, elle revient au château ; elle apparaît comme messagère de malheur, au sommet de la tour, et pousse des cris avertisseurs".
       (2) Détrez, ibid.

    M. Battard, Beffrois, Halles, Hôtels de Ville dans le Nord de la France et la Belgique, p.36-37
    Brunet, Arras, 1948


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  • BERGUES, MON NORD.

    Mon Nord est froid d'un froid de fer.
    Nos cieux offerts sont durs
    En leur pâleur de tendre porcelaine.

    Je vois ces vieux quais morts et leurs canaux herbus,
    Des pavés, l'orgueil tors de ma cité nouée
    En ses murailles souveraines.

    Mon pays s'ennoblit de ce qu'il a souffert,
    Nul ne sera vainqueur de sa force d'attendre,
    Ma Flandre est chaude commme un coeur.


    Ma ville est une joie

    Bergues noble Cité, pur symbole de Flandre
    Au plein cœur de nos champs si vastement fertiles,
    Vents rugueux, tournoyant ces miasmes de marais,
    Tempêtes miaulées aux cingles du Beffroi.

    Jaillies hors de nos plaines, sur la Mer regagnées,
    Ces maisons incurvant le fil calme des pierres.
    Tuiles douces, rosies en ces nuances fines,
    Epandant en cascade l'équilibre des plans.

    Vestiges de mystique, l'Abbaye, tant d'églises,
    Monuments survivant aux morsures des guerres ;
    Et le cerne rugueux, traçant l'ancienne enceinte
    Percée de portes mémorables...

    Un soir rouillé évapore ma ville :
    Pays du souvenir où les reflets s'allument.
    Au soleil frisant d'or, l'agonie des murailles,
    Sombre tragiquement en ténèbres de pourpre...

    Alors s'endormiront et l'oiseau et la rue,
    Gris-argent s'estompait la Nekerstorre étrange...
    Ai-je vu par ces ombres aux joies d'un fier Passé,
    Ces Reusen fabuleux, déambulé silence...

    source : http://pagesperso-orange.fr/villedebergues/bergues-looten.htm


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  •     C'était la veille de la Saint-Nicolas. Un vendredi. Je me rappelle qu'il avait neigé. Il faisait un froid polaire. J'étais allé au court de droit civil, de trois à cinq, d'après l'horaire. Ça veut dire qu'il était six heures quand je sortis de la Fac. Je me souvins à ce moment que j'avais un ami à voir, à l'Hôpital Saint-Sauveur. C'était une ancienne connaissance, un camarade de lycée, qui faisait maintenant sa médecine et qui m'avait demandé je ne sais plus quel tuyau.
        Je quittai donc le quartier des Ecoles, je suivis la rue Lottin, pataugeant dans la boue sale. En ville, d'habitude, j'ai horreur de la neige. Mais cependant, malgré l'ignominie du cloaque où je piétinais, je me rappelle que je trouvais un certain charme à me promener à travers le vieux quartier de Saint-Sauveur. Vous avez été étudiant, vous connaissez donc Saint-Sauveur. Celui d'à présent est bien épuré, bien aéré. Tout le pittoresque en est mort. Du moins le pittoresque des vieilles choses. Moi, le Saint-Sauveur dont je vous parle, c'est celui d'il y a dix ans. J'ai l'air de jouer au vieillard, n'est-ce pas ? Mais le souci moderne de l'hygiène, la construction de l'Hôtel de Ville, de rues nouvelles, les bouleversements de toute sorte, ont métamorphosé le quartier. Il est morcelé, éventré, taillé en brèches et en trouées. Les lambeaux qui en restent sont maintenant isolés, en pleine lumière, en pleine exposition.
        En ce temps-là, au contraire, c'était encore le Saint-Sauveur médiéval. On y entrait un peu comme dans la Cour des Miracles. Il formait un tout compact, un conglomérat de vieilles bâtisses tassées, surplombant les trottoirs, croulant les unes sur les autres, coupées de ruelles étranglées et qui devaient n'offrir, à vue d'oiseau, qu'une carapace monstrueuse de toits raides, aux écailles de tuiles.
        Saint-Sauveur ne frappait pas que la vue. Il étonnait l'odorat et l'ouïe. Son odeur de peuple, ses relents de cuisine misérable, ses parfums de moisi, ses puanteurs d'essence et de produits chimiques ne se retrouvaient en aucun autre endroit. Et sa rumeur bruissante, ses cris d'enfants, ses clameurs de marchands ambulants, ses hurlements de bagarres, son argot, grasseyant et lent, spécial à ce seul quartier, je les reconnaissais, les retrouvais - non sans un certain plaisir - aussitôt tourné le coin de la rue de Paris.
        Ce soir-là, sous la neige, Saint-Sauveur se parait d'une aspect nouveau. Et tout ce pittoresque excusait à mes yeux l'inconvénient de patauger dans la boue fondante. Blanc en haut, noir en bas, le vieux quartier accusait des reliefs tourmentés. Ses toits épaissis et feutrés semblaient peser plus lourdement sur les murs décrépis. Aigus, pointus, dentelés en lame de scie, d'une pâleur vierge sur le ciel noir, il suffisait de les regarder là-haut pour évoquer l'apparition d'une chaotique cité du Moyen Âge, où la lune à son lever jetait des ombres d'encre et des blancheurs resplendissantes. Je me souviens que j'évoquais, tout en marchant, les yeux au ciel, le décor de Cyrano de Bergerac : "Un coin du vieux Paris pittoresque et lunaire", tandis qu'autour de moi une foule bien "vingtième siècle", grouillait et me bousculait. Sur les toits, je retrouvais la poésie romantique d'autrefois. Mais sur la terre, par contre, c'était toute la pouillerie de la grande ville moderne. Des paquets d'ouvriers sortaient des usines, marchaient en groupes sombres sur les trottoirs étroits, exhalant une odeur de renfermé, de suint, de métiers. Les ruelles s'obstruaient d'une engorgement de camions, d'autos, de cyclistes, de voitures. Des gerbes d'eau noire jaillissaient sous les roues. Et, en suivant la rue Wicar, je m'amusais à regarder des gosses qui ramassaient et pressaient dans leurs mains bleuies cette fange glacée pour faire des boules de neige, quand, en passant devant le seuil d'un long couloir bas, qui s'enfonçait comme l'entrée d'un souterrain dans la masse d'une vieille bâtisse, j'entendis des cris sauvages, des cris de femme que la fureur étrangle :
        - Quatre-vingt-dix francs pour ta semaine ! Tu te fous pas de ma gueule, non ? J'en veux pas, de tes quatres sous ! Il manque quarante francs, va les chercher !

    Maxence van der Meersch,
    Car ils ne savent ce qu'ils font... (1933)
    Chapitre IV


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  • source : musenor


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