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Le vapeur, après avoir tourné une couple de fois sur lui-même,
avec la coquetterie d'un oiseau qui essaie ses ailes avant de
prendre son essor, a trouvé sa voie et s'éloigne délibérément,
sous la pression accélérée de la vapeur. Le panorama de la grande
ville se développe d'abord dans toute sa longueur et accuse
ensuite les proportions audacieuses et grandioses de ses
monuments. C'est comme si elle sortait de terre: les arbres des
quais élancent tours cimes feuillues, puis les toits des maisons
dépassent la futaie; les vaisseaux des églises, surgissant à leur
tour derrière l'alignement des hautes habitations, regardent même
par-dessus les toitures des entrepôts, des marchés, des halles
historiques; puis plus haut, toujours plus haut, tours, donjons,
campaniles, pointent, montent, semblent vouloir escalader le ciel,
jusqu'au moment où tous s'arrêtent vaincus, essoufflés, sauf la
flèche glorieuse de la cathédrale. Celle-là seule continue son
ascension, laissant loin en arrière les faîtes les plus altiers.
Encore! Encore! À son tour elle abandonne la partie. Elle
surplombe la ville, elle plane sur la contrée. Il l'emporte
suffisamment sur ses rivaux, le beffroi aérien et dentelé, si haut
qu'on ne voit plus que lui à présent. Anvers s'est éclipsé
derrière un coude du fleuve; la tour par excellence marque comme
un phare superbe l'emplacement de la puissante métropole. Et
Laurent contemple la tour de Notre-Dame jusqu'à ce qu'elle se
fonde, lentement, dans les lointains si lointains que l'horizon
bleu en pâlit.
Le Nouvelle Carthage, Georges Eekhoud,
Editions Lavbor, Bruxelles, 2004,
Première partie Régina, VII Hémixem, p.71
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